Quelle différence entre le statut du salarié et celui de l’indépendant ?

La question :

Le statut salarié et celui de l’indépendant sont très différents tant sur le plan social, fiscal que sur la relation contractuelle.

La réponse de FO :

• Le salarié

Il est soumis à un contrat de travail régi par le Code du travail.

Ce régime lui offre des garanties particulières : paiement du salaire (respectant les minimas légaux ou conventionnels), fourniture de travail, respect de la durée du travail et du droit au repos, une adhésion à la sécurité sociale et à une mutuelle (financées en partie par des cotisations à la charge par l’employeur), encadrement de la rupture du contrat (procédure et motif de licenciement) …

En contrepartie, le salarié est soumis à un lien de subordination qui permet à l’employeur de disposer d’un droit de direction, de contrôle et de sanction sur ce dernier.

• Le travailleur indépendant

Il est qualifié de partenaire commercial non lié par un contrat de travail mais par un contrat commercial.

Il ne bénéficie donc pas des protections prévues par le droit du travail.

Il n’est par principe par soumis au lien de subordination et dispose donc d’une grande liberté dans l’organisation de son travail.

L’indépendant est un « chef d’entreprise », il doit donc se charger de toutes les fonctions propres à une entreprise (dont la comptabilité notamment) et doit également supporter toutes les charges afférentes (outils de travail, prise de congés qui ne sont pas rémunérés…) ainsi que les cotisations sociales et fiscales.

Ainsi, la principale différence se trouve dans la grande liberté de l’indépendant contre la sécurité du salarié.

Seront exposés tout au long de ce question/réponse les différences pratiques entre ces deux statuts.

En tant que travailleur des plateformes, suis-je salarié ou indépendant ?

Le modèle social des plateformes de livraison est basé sur le recrutement de travailleur indépendant.

Classiquement les plateformes demandent un statut auto-entrepreneur pour s’inscrire.

Aussi, par principe, vous êtes indépendant.

L’exception tient à la requalification par le juge de la relation en contrat de travail.

En effet, l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs (Cass. Soc., 19 décembre 2000, « Labanne »).

Sachez néanmoins que le Code du travail prévoit une présomption de non-salariat pour les travailleurs inscrits comme auto-entrepreneur (article L8221-6), cela signifie que c’est au livreur d’apporter la preuve de l’existence des conditions propres au contrat de travail.

Vous devez donc démontrer que vous répondez aux trois conditions, qui doivent être réunis pour reconnaître l’existence d’un contrat de travail (éléments constitutifs du contrat). Ces critères sont cumulatifs :

La prestation de travail

 La rémunération (contrepartie de la prestation, qu’elle soit versée en argent, en nature, calculée au temps ou encore à la pièce, à la commission…).

 Le lien de subordination. C’est le critère décisif du contrat de travail qui nécessite la démonstration de 3 pouvoirs unilatéraux de l’employeur (Cass. Soc., 13 novembre 1996, n°94-13.187, « Société générale ») :

1. Pouvoir de direction : l’entreprise donne des ordres, des directives ;
2. Pouvoir de contrôle : l’entreprise contrôle l’exécution de ses directives :
3. Pouvoir de sanction : si le travailleur n’exécute pas correctement son travail, l’entreprise peut le sanctionner.

Un mouvement s’est engagé pour faire reconnaitre que certains livreurs étaient en réalité des salariés (puisque non indépendant dans la relation de travail et donc soumis à un lien de subordination) et donc pour faire requalifier les relations en contrat de travail entre livreurs et plateformes.

Plusieurs décisions de justice ont fait droit à des demandes de requalification en contrat de travail.

D’abord, l’arrêt « Take it Easy » de la Cour de cassation en date du 28 novembre 2018 (n°17-20.079). Dans cette affaire, deux critères caractérisaient le lien de subordination :
• L’application était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel de la position du coursier et comptabilisant le nombre total de kilomètres parcourus. Elle en déduit que le rôle de la plateforme ne se limitait pas à une simple mise en relation du restaurateur, du client et du coursier ;
• La société disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier. Les retards dans les livraisons entraînaient une perte de bonus et pouvaient même conduire à la désactivation du compte du coursier au-delà de plusieurs retards.

Dans la ligne de cette décision, la Cour d’appel de Paris (CA Paris, ch. 6-2, 10 janv. 2019, n° 18/08357) a conclu à un faisceau d’indices suffisant permettant de caractériser un lien de subordination entre la plateforme Uber et son chauffeur lors de ses connexions à la plateforme Uber. En effet :
• Le chauffeur ne peut pas se constituer une clientèle propre, puisqu’il lui est interdit pendant une course de prendre d’autres passagers en dehors du système Uber ;
• Les tarifs sont contractuellement fixés au moyen des algorithmes de la plateforme, le chauffeur n’a aucun pouvoir de décision ; le chauffeur reçoit des directives comportementales de la plateforme ;
• La plateforme contrôle l’activité des chauffeurs, au bout de 3 refus de sollicitation, la plateforme adresse un message au chauffeur et se garde le droit de désactiver le compte ;
• Les chauffeurs sont géolocalisés en permanence et les données recueillies sont analysées par Uber ;
• Uber exerce un pouvoir de sanction sur les chauffeurs pouvant aller jusqu’à l’exclusion définitive de l’application.

La cour d’appel en conclut que dès lors que le chauffeur se connecte à la plateforme, il intègre un service organisé qui lui donne des directives, en contrôle l’exécution et exerce un pouvoir de sanction, elle en tire donc comme conséquence : l’existence d’un contrat de travail et la qualité de salarié du livreur.

Cette décision a été confirmée par la Cour de cassation le 4 mars 2020 (Cass. Soc. 4-3-2020n° 19-13.316 F-D, Uber France c/ X).

L’appréciation des juges est souveraine au regard des faits de chaque espèce.

Aussi, la solution retenue par les juges dépendra des conditions d’exercice du livreur et il n’est pas possible de revendiquer une requalification automatique ou systématique.

A titre d’illustration, la Cour d’appel de Paris a récemment rejeté la demande de requalification d’un livreur Deliveroo. Pour cela, la Cour a jugé que :

 La clause aux termes de laquelle le livreur s’engage à respecter les pratiques vestimentaires de Deliveroo et à porter, en tout état de cause, une tenue propre et en bon état général ne saurait caractériser un lien de subordination. D’autant plus qu’il n’était pas exigé du livreur qu’il porte une tenue estampillée au nom de la plateforme ;

 La retenue tarifaire, pratiquée dans des cas bien définis contractuellement (exemples : articles manquants lors d’une livraison, absence de réponse à des appels du client), ne caractérisait pas l’existence d’un pouvoir disciplinaire mais une pénalité financière d’ordre contractuel ;

 Les congés saisis par le livreur sur un logiciel étaient simplement enregistrés et non validés par la plateforme de service, bien que la formule « a approuvé la demande de congé » puisse porter à confusion ;

 Le prestataire était libre de choisir et de modifier sa plage horaire et son lieu de travail ;

 L’octroi d’une assurance gratuite ne constituait qu’un outil de fidélisation permettant un équilibre entre les parties au contrat ;

 La fixation des tarifs par la Société était sans rapport avec le lien de subordination, l’autoentrepreneur pouvant valablement négocier sa rémunération ;

 Enfin, le dispositif de géolocalisation ne suffit pas à démontrer un contrôle dès lors qu’aucun contrôle hiérarchique n’étant selon eux caractérisé au travers d’un outil permettant de suivre le déroulement de la prestation, inhérent au service demandé.

Ainsi, retenez que la requalification est appréciée au cas par cas.

Les livreurs qui estimeraient que leurs conditions d’exercice s’assimilent à celles d’un contrat de travail et qu’ils sont soumis à un lien de subordination, devront saisir le Conseil de prud’hommes pour demander la requalification de leur relation en contrat de travail en démontrant que les critères rappelés sont remplis.

Les livreurs peuvent saisir en Groupe mais le demande de requalification reste individuelle.

Si vous estimez être soumis à un lien de subordination, n’hésitez pas à contacter un avocat spécialisé en droit du travail afin que celui-ci puisse vous aider à établir la meilleure stratégie possible.


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